Je connaissais Mon Oncle (1958) qui raconte déjà la rencontre de Monsieur Hulot avec la modernité. Le film, considéré comme mythique à juste titre, ne m’avait pas emballé. Trop loin de nous, trop daté, une vision trop ancienne de la modernité.
Playtime, terminé en 1967, se passe dans un monde fait de tours de bureaux étincelantes, d’aéroports neufs, un monde de la modernité, la Défense rêvée et étendue à tout Paris, à l’époque ou ce type de modernité faisait rêver.
Le film se passe en trois actes, construits sur le même schéma. Découverte du lieu, vide ou presque, puis accumulation de vie.
Premier acte, l’aéroport.
Etincelant, brillant, précis, propre, métallique, au loin une rangée d’hôtesse de l’air devant une grande verrière. Des escalators, des nonnes en Santiags, tout une galerie de personnages modernes. Les hommes sont en costume cravate. Tous les protagonistes se croisent. Des américains, un groupe de touristes américaines où se devine l’héroïne, Monsieur Hulot un peu perdu dans son costume et son grand manteau, comme un Chaplin revisité.
Scène clef ; le passage au tout début de deux nonnes dont les ailettes du chapeau s’agitent au rythme de leur marche.
Deuxième acte, les bureaux.
Monsieur Hulot doit rencontrer quelqu’un. Il arrive dans une tour de bureau. Le décor est posé, il passe de longs moments seuls à découvrir les lieux. Puis il se déplace dans la tour, à la recherche de son américain et visite une exposition de meubles modernes. Petit à petit, les bureaux, les ascenceurs et les trottoirs se peuplent, une fois que le spectateur s’est bien imbibé du décor.
Scène clé : le concierge fait apparaître un panneau pleins de boutons, et tente de s’en servir pour contacter quelqu’un.
Scène clé : Monsieur Hulot attend dans une anti chambre face à la rue, tel un poisson dans son bocal. Idée qui traverse tout le film, très souvent les scènes sont filmées de l’extérieur, à travers des verrières, avec le son de la rue en guise de bande son. Un américain très stylé arrive dans la pièce, s’installe et repart. Ici, l’importance de la bande son est à noter. Les dialogues ne sont souvent que des grognements peu compréhensibles. Seul s’exprime les sols (les chaussures couinent sur les sols en linoléum), les fauteuils qui respirent quand l’on s’assoit, le bruit des portes qui se ferment (CLANG), des papiers que l’on plie, des sacoches que l’on ouvre.
Scène clef : monsieur Hulot, en haut d’un escalator, a une vue plongeante sur une série de cubicules en aluminium brossé, aux intérieurs vers pastel (pour apaiser les employés qui les occupent ?)
Scène clef : tout Paris n’est qu’une succession d’immeubles de métal. Les monuments (Sacré-Coeur, Tour Eiffel) sont vues en reflet sur une porte en verre ou une fenêtre. A l’exception d’une scène ou Monsieur Hulot contemple la Tour Eiffel.
Intermède, la visite d’un appartement, au rez de chaussée, avec ses grandes bais vitrées.
Troisième acte, le restaurant.
Un restaurant à peine terminé ouvre. Les ouvriers sont encore à peindre les murs quand les premiers clients arrivent. Au tout départ, le restaurant partage avec l’aéroport ou les bureaux la froideur clinique de la modernité rêvée, mais très vite ce restaurant prend vie, quand les convives arrivent. D’où le titre du film, playtime. Un vent de folie souffle peu à peu sur le restaurant.
D’un côté, toute une série d’incidents parsèment la soirée. Le dossier des chaises imprime le logo du restaurant sur les vestes des costumes des hommes, sur le dos nu des femmes. Les lumières sautent, le plancher se décolle, la soufflerie est mal réglée, la façade au néon déconne.
D’un autre côté, les visiteurs donnent vie au lieu. Les musiciens s’enflamment avec l’arrivée d’un trompétiste noir ; les danseurs sur la piste se secouent en rythme. Monsieur Hulot donne le signal du basculement de la soirée en faisant s’écrouler accidentellement une bonne partie des fausses cloisons du restaurant. A partir de ce moment, l’homme reprend le dessus sur les espaces. Les américains font la fête, peu sensible à la modernité du lieu. Monsieur Hulot s’approche de la belle jeune femme mêlée aux autres touristes (Barbara Dennek qui ne semble pas avoir fait d’autres films), le restaurant part en pièce.
scène mythique : monsieur Hulot a cassé une des portes en verre du restaurant. Ne reste qu’une grosse poignée en métal dorée. Puisque personne ne peut voir les portes en verre transparent de toute façon, le portier simule la présence de la porte en déplaçant la poignée.
scène mythique : les ouvriers représentent une France plus simple, plus riche que les locaux aseptisés. L’un d’eux se sert de sa tuyauterie pour se servir de petits verre d’alcool, un autre mesure le plat à poisson pour redécouper le passe-plat.
Conclusion
toute la fête fini la nuit au Drugstore.
visite d’un petit supermarché au petit matin,
départ du car de touristes emmenant la belle américaine.
Voir en ligne : Lien sur IMDB
Messages
27 novembre 2011, 09:59, par Richard
Merci Sylvain pour ce petit résumé du film puisqu’à son évocation, sans même lire ton texte, je me suis fait hier soir à la Sauguié les prés du Ravon une petite projection personnelle de ce superbe film que je n’avais pas revu depuis l’enfance. Et il faut croire qu’il m’avait marqué puisque je me suis rendu compte à quel point je m’en étais (ou avais voulu) inspiré pour "C’est moi !" et son Monsieur Bienvenue (la réceptionniste dans sa boite, l’ambiance et employés de bureau, l’humour...). Et pourtant, en faisant le film, c’est "Mon oncle" de Jacques Tati que j’ai vu, pas Playtime !! Il faut donc croire que l’assimilation du film (à défaut de son souvenir exact) a été très forte puisque je suis allé même jusqu’à conseiller mes acteurs de le visionner pour s’en inspirer !
A la revoyure je trouve le film vraiment génial, dans ses idées comme dans sa narration qui vous livre dans un bocal les nombreux personnages sans forcément vous obliger à en regarder un en particulier (ou alors de manière très subtile). Je suis d’ailleurs persuadé que beaucoup seraient là à dire "mais il ne se passe rien !" alors qu’il suffit pourtant de regarder pour voir une foule de détails souvent très drôles.
Ah la la ce Jacques tati, quel bonhomme !